- UN (PHILOSOPHIES DE L’)
- UN (PHILOSOPHIES DE L’)«Comment faire pour que le Tout soit un et que chaque être soit un en soi-même?» Cette antique formule orphique contient le problème essentiel de la philosophie. Celle-ci est divisée entre deux exigences antithétiques, celle de l’unité et celle de la diversité, qu’il est aussi impossible de refuser que de réaliser isolément. Pensée, langage, réalité sont nécessairement des combinaisons d’un et de multiple, c’est-à-dire des nombres ou des totalités. Mais, en employant au pluriel ce terme « totalité », nous impliquons que l’univers est un Tout formé de touts. L’unité de l’univers serait, en effet, bien pauvre et bien lâche si elle n’était faite de parties totales, c’est-à-dire de divisions contenant de quelque manière la loi du Tout. Il faut donc en venir à une multiplicité de foyers ou de centres qui eux-mêmes se donnent une multiplicité interne et se correspondent de façon à former un ordre. La Monadologie de Leibniz exprime cette exigence de façon caractéristique. Pour que cet ordre ne contredise pas l’intériorité de chacun, il faut qu’il soit de quelque façon immanent à chaque foyer et que toute structure soit sous-tendue par une véritable spontanéité. «Le royaume de l’unité est au-dedans», disait Maurice Blondel. Finalement l’unité coïncide avec la liberté.Le problème de l’un et du multipleEn un sens, toute philosophie est une philosophie de l’un. Car penser, c’est nécessairement unifier. On l’avait reconnu bien avant Kant. L’affirmation du multiple lui-même est une manière de poser l’unité. Toute division est effectuée ou constatée par un acte indivis. Et, si l’on renonce à découvrir la moindre cohésion dans les choses ou le discours, on le fait encore par une démarche qui ne renonce pas à son identité avec elle-même. Si le monde n’était que ce «divers pur» par quoi certains philosophes définissent la matière, il faudrait partir de l’unité pour la retrancher, l’univers serait la négation de l’un et donc toujours visé à travers l’un. Et si nous nous portions vers l’autre extrême, celui de la théologie négative, et exigions un Dieu tellement ineffable qu’il serait au-delà de l’unité même, il faudrait également traverser l’unité, mais pour la dépasser par excès, au lieu de nous laisser glisser vers l’ineffable par défaut.L’essence même de la philosophie lui impose l’unité. D’abord parce qu’elle s’efforce de dégager ce qui demeure implicite et pourtant décisif dans toutes les sciences et démarches humaines. La philosophie sera toujours la chasse aux arrière-pensées, celles dont on part à son insu et auxquelles on ne peut revenir sans une conversion intégrale. Or cette chasse ne nous conduit pas finalement à substituer des évidences à d’autres évidences, mais à mettre en question l’évidence elle-même. Elle déploie la distance nécessaire à la constitution de l’objectivité. Le système n’est pas ici une synthèse dogmatique qui se développe en ligne droite, mais un instrument d’analyse qui nous donne prise sur son point de départ méconnu. La philosophie serait alors la recherche du langage le plus rigoureux pour formaliser l’interrogation la plus radicale. «Tout est en question, disait Blondel, même de savoir s’il est une question.» Le caractère radical de cette interrogation la condamne à l’unité, mais du même coup la rend incommensurable à toute thématisation. Et c’est ce qui fonde la pluralité des systèmes. Le foyer de la clarté est nocturne et inépuisable pour le discours et même pour l’intuition.Cette réflexion nous découvre un axiome complémentaire et apparemment opposé. Autant il est vrai qu’il n’y a pas de philosophie sans unité, autant nous devons reconnaître que toute pensée se meut inéluctablement dans le multiple. Tout comme le divers pur, l’un pur est impensable et même inaffirmable. C’est ce que démontre Platon dans la première hypothèse du Parménide . Le domaine de la pensée est l’un multiple, ou le nombre, et son exercice fondamental est la lutte de l’un contre le multiple. Privée de cette résistance, la pensée s’évanouirait. L’un pur et le divers pur peuvent seulement être exigés comme conditions du nombre ou comme la nuit que suppose la clarté. Nous ne connaissons à proprement parler que le multiple, bien que ce soit par l’un. Cela revient à dire que nous ne pensons que des relations. Et tout ce que nous posons, même quand nous le voulons absolu, nous le faisons relation, c’est-à-dire dualité. C’est ainsi que l’affirmation d’un Principe absolu destiné à unifier la multiplicité de l’univers risque de redoubler cette pluralité.Sur ce point, l’école néo-platonicienne du IIIe au VIe siècle après J.-C. a été la plus lucide. Elle a montré que toutes les fois que nous prétendions poser l’unité pure, nous posions en réalité une totalité, c’est-à-dire l’unité d’une pluralité. Toute connaissance de soi, toute intériorité, toute autoconstitution entraînent une scission interne dans le bénéficiaire. La «Pensée de la Pensée» d’Aristote n’échappait pas à cette disgrâce et, au regard des néo-platoniciens, ne pouvait être parfaitement simple, C’est pourquoi l’Un suprême était, chez eux, au-delà de l’intelligible et de l’intelligence, même sublimés, et donc au-delà de l’unité elle-même. Paradoxalement, ces penseurs qu’on tient pour les philosophes de l’un par excellence ne posaient pas l’unité pure. Car le monde et l’esprit se trouvaient au-dessous d’elle, et le Principe suprême au-dessus.La philosophie, comme toute pensée, est donc déchirée par deux exigences opposées. Elle ne peut renoncer à l’unité, mais elle ne la réalise qu’en la multipliant. C’est de ce conflit fondamental que vont surgir les différents types d’unification philosophiques.Quelques modèles d’unitéIl est maintenant certain qu’il y a autant de manières d’unifier que de systèmes philosophiques. On se bornera à signaler les modèles les plus caractéristiques.Appelons doctrines pluralistes les philosophies les moins unifiantes. Elles renoncent à toute origine unitaire ou bien multiplient à l’infini les principes. Il y a autant de centres que de points de vues possibles. Et la sagesse est de renouveler indéfiniment la perspective sans privilégier un ordre quelconque. On peut voir une forme fruste de ce genre de démarche dans l’atomisme de Démocrite, d’Épicure et de Lucrèce. Autant de principes que d’atomes. On en trouverait de nos jours chez Jacques Derrida une expression plus subtile.Un autre style de philosophie limite le nombre des principes. Refusant à la fois l’unité et la pluralité indéterminée, il professe souvent le dualisme. Tout ce qui existe serait formé par le conflit et la synthèse, plus ou moins cohérente, de deux éléments, fonctions ou principes antithétiques. C’est à peu près ce qu’enseignaient plusieurs penseurs antérieurs à Socrate, par exemple les premiers pythagoriciens qui concevaient toute réalité sur le modèle des nombres et composaient ceux-ci d’infini et de déterminant (apéiron et péras ). Dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, une doctrine venue d’Orient, le manichéisme, qui inspirera au Moyen Âge le catharisme des Albigeois, admet que l’univers est un compromis résultant de la rivalité du bon et du mauvais principe, de la lumière et des ténèbres. Une forme non ontologique de dualisme apparaîtra dans l’idéalisme critique de Léon Brunschvicg, mort en 1944, qui composait chaque affirmation d’une loi d’intériorité et d’une fonction d’extériorité.On peut se demander d’ailleurs si le dualisme n’est pas originellement un monisme de la relation . Il s’appuierait sur une oscillation dialectique entre deux extrêmes aussi irréductibles qu’inséparables puisqu’ils tiendraient leur sens de leur corrélation. Dans ce cas, l’unité résiderait dans la médiation qui les lie et les oppose à la fois.Parmi les philosophies monistes prennent place les doctrines de la totalité. Mais il faut tout de suite distinguer celles qui croient que cette totalité suffit à se réaliser elle-même et celles qui lui infusent l’unité par le rayonnement d’un Principe transcendant.Si l’on estime que la totalité tient d’elle seule son unité et son être, on sera porté à réduire la part de sa multiplicité interne. À la limite, on soutiendra que celle-ci n’a de place que dans une optique subalterne et provisoire. Tel semble avoir été le sentiment de Parménide qui identifiait l’Être et la Pensée dans un Tout parfaitement un. Plus intrépides encore, certaines doctrines hindoues affirment que l’individu est une illusion destinée à se résoudre dans un Tout indifférencié. On a vu une parenté entre cette perspective et celle des stoïciens, qui croyaient que l’universalité des choses est constituée par le feu ou la lumière, manifestation de la Raison dont tout émane par développement immanent et en quoi tout se résorbe périodiquement. Mais la totalité stoïcienne se déploie dans des articulations nécessaires et harmonieuses dont la mentalité hindoue, moins intellectualiste, ne se soucie pas au même degré. L’univers grec a une structure plus ferme que le paysage oriental, et sa totalité est celle d’un ordre.Plusieurs maîtres de l’école stoïcienne professaient que la raison cosmique ne pouvait se réaliser elle-même sans être la dérivation d’une Raison divine transcendante. C’est la seconde sorte des doctrines de la totalité. Parmi elles se rangent les philosophies de la création. On sait que, chez elles, l’ordre du monde tient son être et son unité multiple de la simplicité divine et qu’il imite, en la multipliant ou en la déroulant, la plénitude que Dieu concentre en lui-même. La théologie de saint Thomas d’Aquin est le meilleur exemple de cette position.Ce type de pensée semble d’abord très proche des philosophies néo-platoniciennes de la procession . En réalité, malgré des similitudes et des échanges partiels, les deux démarches sont hétérogènes. Mais elles ne divergent pas parce que les néo-platoniciens introduiraient dans une «émanation panthéiste» une dégradation du Principe ou une moindre dépendance du dérivé. La différence essentielle consiste en ce que le Dieu créateur est une plénitude d’affirmation, tandis que le Principe de la procession est un excès de négation. Le premier recueille donc toutes les perfections créées en les transposant dans une coïncidence infinie, alors que le second les refuse toutes (ainsi que leurs privations), même l’unité. La raison en est que, pour le philosophe de la création, la cause doit contenir à sa manière tout ce qu’elle donne à son effet, tandis que, pour le théoricien de la procession, le Principe doit être rigoureusement absolu. Et l’absolu, délié de toutes les relations du langage et de la pensée, est nécessairement ineffable.Telle est l’opposition de ce qu’on a appelé «les philosophies de l’Être» et «les philosophies de l’Un». L’Être est une totalité infiniment sublimée. L’Un est le symbole de l’Ineffable et de la théologie négative.L’Un au-delà de l’ÊtreAinsi définie, la philosophie de l’Un au-delà de l’Être coïncide avec le néo-platonisme. On entend par cette dénomination, non pas n’importe quel platonisme, mais une école déterminée de commentateurs platoniciens, dont les grands maîtres sont Plotin (IIIe s. apr. J.-C.), Porphyre, Jamblique (IIIe-IVe s.), Proclos (Ve s.), Damascios (VIe s.), Jean Scot dit Érigène (IXe s.). Leur enseignement est caractérisé par la place centrale qu’ils accordent au Parménide de Platon. D’après leur interprétation de la deuxième partie de ce dialogue, l’un passe au-dessus de l’affirmation s’il est visé dans sa pureté absolue, comme on l’a vu, et il retombe au-dessous si on le laisse se dissoudre en divers pur. Mais ces deux fonctions, en elles-mêmes inaffirmables, sont indispensables pour construire le réel, qui est fait de combinaisons graduées d’un et de multiple. L’Être est donc essentiellement totalité. Et le redoubler dans son origine reviendrait à transformer la question en réponse. L’origine ne saurait être un Tout, même infiniment concentré et autoconstituant. Dès lors, elle n’a même pas l’unité comme attribut, puisqu’on ne pose l’unité qu’en la rapportant à la multiplicité (ne serait-ce que pour l’exclure), et donc jamais comme un absolu. L’Un n’est plus qu’un symbole et une fonction, mais il devient la première figure du Principe. Dans ces conditions, on doit s’interroger sur les raisons de ce privilège. Pourquoi les néo-platoniciens préfèrent-ils l’Un à l’Être pour désigner l’Ineffable? On peut en découvrir trois raisons.La première raison est d’ordre historique. Elle réside dans une fidélité. Les néo-platoniciens se veulent, à travers Platon, les héritiers de Parménide et de Pythagore, qu’ils regardent comme des maîtres divinement inspirés. Bien entendu, cette vénération aboutit à un néo-parménidisme et à un néo-pythagorisme, puisqu’ils recueillent des traditions déjà revues et corrigées par une longue suite d’interprètes. C’est ainsi qu’ils reprennent ce terme «Un» pour désigner l’exigence suprême dont Parménide s’était fait le héraut.Mais cet «Un» évoque également les méditations pythagoriciennes sur les nombres. C’est de là et non des analogies de la fabrication artisanale que les pythagoriciens du Ier siècle avant J.-C. avaient tiré l’esquisse d’une procession intégrale des choses à partir d’une origine unique. Si les choses sont assimilées aux nombres, et si les nombres sont tous engendrés par la monade déterminante et la dyade indéterminée, elles-mêmes dérivées d’un Principe unique, on peut croire que tout part de l’Un pour s’y résoudre. Le nombre, en effet, pour les néo-pythagoriciens, c’est l’un qui se multiplie et la multiplication qui se laisse ressaisir par l’unité formatrice pour donner la totalité. La genèse du nombre apparaît ainsi comme la révélation de la loi de l’univers et de la pensée. Et le point de départ de celle-ci, l’Un dont l’unité mathématique est le symbole, ne se livre que dans une sorte de présence mystique.On a d’abord l’impression que, parmi les métaphysiciens modernes, Spinoza appartient à cette lignée. En fait, le spinozisme est difficile à situer. Il serait une philosophie de l’Un si l’on considérait seulement sa théorie de la procession, qui s’apparente à la génération mathématique dans l’identité du possible et du réel et dans l’immanence des dérivés à leur principe. Mais il demeure une philosophie de l’Être dans la mesure où il part d’une auto-affirmation qui concentre en sa plénitude une infinité de perfections positives et qui est celle d’une totalité complexe.La deuxième raison est une option métaphysique. Les néo-platoniciens revendiquent le primat de l’Un: d’une part, parce que, pour eux, la communication de l’unité est plus parfaite que toute communication d’être; d’autre part, parce que l’unité est la suprême valeur et la loi de toute réalisation.Si l’unité n’est pas une propriété du Principe, elle exprime de façon fonctionnelle son mode d’épanchement et sa manifestation primordiale.Il est certes paradoxal que diffuser l’unité soit plus fondamental que diffuser l’être. L’unité, en effet, semble un complément que l’être précède et soutient. Pourtant, la perspective néo-platonicienne est exactement inverse. Chez elle, le don de l’être qui ne serait pas prévenu par celui de l’unité et n’en résulterait pas produirait un effet tellement extrinsèque à sa cause et tellement imparfait qu’il serait impossible. Donner l’être, c’est former une œuvre extérieure à son auteur, c’est la rendre passive dans sa propre production et lui faire porter tout le poids de sa finitude. Agir par mode d’unité, au contraire, c’est retenir le dérivé dans la spontanéité de son principe, l’infinitiser et lui fournir le pouvoir de se réaliser lui-même. L’être créé est posé par un autre comme un produit de la nature, tandis que celui qui procède par mode d’unité procède à la fois de son principe et de lui-même; il intériorise sa propre réalisation.Puisque la procession néo-platonicienne est provoquée par la surabondance et la générosité de son Principe, elle doit susciter en premier lieu la plus haute perfection, comme Platon le laissait entendre dans le Timée . Le Démiurge, étant bon, ne pouvait produire que le meilleur, c’est-à-dire le plus semblable à lui-même. Il ne pouvait faire que des dieux. Ceux-ci se chargeraient ensuite des tâches inférieures. L’Un se communiquera donc d’abord lui-même, et c’est ce que signifie l’opération par mode d’unité dont il tire son nom. Il ne pourrait rien produire s’il n’épuisait d’un seul coup son épanchement. La procession qui suit celle de l’unité n’est plus que le déploiement et la conséquence de cette effusion primordiale.Malebranche transpose cette thèse dans l’univers chrétien quand il déclare que Dieu ne pourrait rien créer s’il ne s’unissait d’abord à son ouvrage par l’Incarnation de son Verbe, afin de le rendre digne de sa sagesse. Et Spinoza adopte une position parallèle quand il totalise la genèse de l’univers dans les modes infinis immédiats (dont l’Entendement divin, qu’il appelle «le Fils de Dieu»), puis médiats, avant de dérouler ceux-ci dans les modes finis et les essences singulières. La Substance infiniment infinie ne peut s’exprimer directement que par l’infini. En outre, le terme «mode» qualifiant toute dérivation révèle le dessein de ne jamais réaliser un effet partiel dans l’isolement de sa détermination. Le mode, même s’il est considéré comme expression ou explication, reste immanent à son principe formel et exorcise le caractère transitif de l’efficience.À titre de valeur suprême, non seulement l’unité enveloppe toute perfection, mais elle est encore l’exigence et la mesure de toute réalisation. Elle est la fin parce qu’elle est l’origine, selon le mot de Plotin: «L’être n’est que la trace de l’un.» L’unité et la divinité étant identiques, l’Un rayonne l’unité comme le soleil sa lumière, et en communiquant ainsi la divinité il donne à chaque dieu la norme de son expression. Chacun se constitue et se communique à son tour dans la mesure où son unité l’exige.De cette façon, la philosophie de l’un échappe à l’ambiguïté de la philosophie de l’être. L’être est à la fois idéal et réalité, perfection et fait, acte et structure. Et la fusion de ces deux aspects risque de tourner à la consécration de la puissance ou du fait accompli. Selon les néo-platoniciens, ce qu’il y a de plus profond dans l’esprit, ce n’est pas l’affirmation, mais le recul qui la juge et en un sens la refuse. Dans ce sens, les négations sont génératrices des affirmations.L’antériorité de l’un est le primat de la norme sur le pouvoir, celui de l’exigence sur la réalisation. L’unité est comme un devoir-être qui ne sera jamais égalé par son meilleur accomplissement. La primauté de l’un prolonge celle du nombre dans la ligne pythagoricienne. De même que le nombre est la vérité des choses et les précède sans s’y épuiser, la loi de l’unité règle la distribution des nombres .La troisième raison de cette préférence donnée à l’Un plutôt qu’à l’Être est d’ordre à la fois poétique et mystique.D’après Damascios, l’Un est le symbole de l’Ineffable. Et cette assertion, qu’il attribue aux pythagoriciens, ne lui semble pas gratuite puisqu’il y a en nous et en tout esprit un foyer inexprimable. L’Un n’évoque ni une hypostase transcendante qui serait irréalisable, ni un simple état immanent qui inviterait au narcissisme, mais une présence qui, ne pouvant se réfléchir adéquatement, se donne comme verbe une indéfinie multiplication d’intuitions et de discours. Mais ce qui ne peut être représenté peut être éveillé par une incantation poétique. C’est ainsi qu’il faut entendre les formules si fréquentes chez les néo-platoniciens: «l’un de l’âme», «la cime de l’âme», «la fleur de notre essence», etc. Ces métaphores veulent célébrer la coïncidence de notre centre avec le centre universel en ramenant l’esprit à son silence (ou à son «ivresse») originel.Il n’est pas surprenant que des auteurs spirituels chrétiens aient repris ces figures pour évoquer la présence de Dieu dans le sanctuaire de l’âme. Le langage néo-platonicien demeure un modèle pour quiconque est en quête d’une mystique usant d’un processus d’intériorisation et de réflexion critique. Mais il faut prendre garde que, dans cette école, l’union mystique n’est jamais conquise, elle est la récupération d’un point de départ caché. De même que, chez Spinoza, la vertu n’obtient la béatitude que dans la mesure où la béatitude a déjà secrètement suscité la vertu, l’unité ne s’ajoute jamais à l’être, mais elle se donne l’être, la vie et la pensée pour s’épanouir grâce à ce circuit.
Encyclopédie Universelle. 2012.